Merule : Ne pas chercher à rassurer !

Comment exprimer ses doutes, en l’absence de diagnostic ou de norme spécifiques ? De plus, douter est-il permis ?

La jurisprudence récente offre quelques exemples de diagnostics jugés imprécis, voire involontairement trompeurs, pour avoir rassuré à tort le consommateur. Un article récent souligne ainsi les dangers du diagnostic jugé « faussement rassurant »  (cf. AJDI juillet-août 2008, p. 616). De quoi s’agit-il au juste ?

En voici un premier exemple : la vente d’une maison au vu d’un état parasitaire négatif. Ayant découvert des pourritures suspectes, l’acquéreur obtient une expertise judiciaire. L’expert relève un fort taux d’humidité dans les doublages en plâtre, collés directement sur les murs.

Il s’ensuit une condamnation du diagnostiqueur, ce dernier n’ayant émis aucune réserve ou mise en garde, ni conseillé de recherches approfondies.

Autre cas de figure, le diagnostic « après travaux »  (ou « après traitement » ). Illustration : un premier état parasitaire signale une humidité excessive et des traces de mérule. Le vendeur fait aussitôt réaliser des travaux de remise en état.

Un second diagnostic, effectué par le même diagnostiqueur, ne mentionne plus aucun signe d’humidité, n’évoque plus les dégradations importantes des éléments boisés, et atteste que les travaux ont été faits dans les règles de l’art.

Or, ce diagnostic ne pouvait pas être aussi rassurant car l’expert judiciaire a relevé qu’il subsistait encore des indices (humidité, dégradations). D’où une condamnation de l’auteur des travaux et du diagnostiqueur.

Mais comment exprimer ses doutes, en l’absence de diagnostic ou de norme spécifiques ? De plus, douter est-il permis ? Tel est bizarrement le cas. Avant même la rédaction du rapport, ce doute peut s’exprimer lors de l’inspection, en écartant certaines idées préconçues.

Un phénomène nullement local

Sa relative concentration géographique pourrait laisser penser que le mérule reste un problème local. Tel n’est pourtant pas le cas, puisque :

  • le champignon peut surgir n’importe où en théorie, dès lors qu’il y a rupture des conditions normales d’entretien du bien (contrairement à d’autres agents destructeurs, tels les termites)
  • les spores se propagent au gré des courants aériens, mais aussi par déplacement de matériaux contaminés

Local signifierait-il facile à détecter ? A l’évidence, non. Si la présence du mérule demeure rarement longtemps ignorée des acteurs locaux, ceux-ci préfèrent souvent se taire, réparer au petit bonheur, voire « maquiller » . Un facteur psychologique vient alors majorer les causes biologiques du phénomène. Véritable jeu de pistes, une recherche efficace suppose donc poinçon, humidimètre… et bien évidemment perspicacité, pour déjouer un éventuel réflexe « cosmétique »  du propriétaire (doublage, laine de verre, etc.) – intentionnel ou pas.

Contrairement à d’autres agents destructeurs, le mérule préfère l’anonymat, ne laissant aucune « signature » , hormis les dégradations elles-mêmes : clivage des bois attaqués sur trois plans orthogonaux, brunissage des cubes ainsi créés. C’est dire si, lorsque le champignon est repéré, il est souvent déjà trop tard.

Quels sont les facteurs biologiques favorables ? Essentiellement hygrométrie (a minima, humidité massique de 22 % dans le bois) et température du lieu (comprise entre 14°C et 26°C). Or, sous nos latitudes, de telles conditions ne peuvent être durablement atteintes, si clos et couvert sont normalement entretenus…

« Interrogatoire » du vendeur

Outre le défaut d’entretien et la mauvaise étanchéité du bâti, certains détails peuvent parfois aider dans l’enquête, surtout s’ils se présentent de façon simultanée : immeuble antérieur aux années 70, fenêtres PVC remplaçant celles d’origine, façades peintes, élévation du niveau du sol fini à la périphérie du bâtiment, « artificialisation »  du sol périphérique (enrobé, béton, etc.), doublage des cloisons.

Malgré l’opacité ambiante, questionner s’avère utile. Plusieurs éléments permettent de poser des questions « ciblées »  au vendeur, ne serait-ce que pour évaluer son degré de coopération. Voici quelques exemples de « sujets de curiosité »  :

  • réalisation plus ou moins récente de travaux affectant les bois d’œuvre (remplacement de lames de parquet, remplacement de fenêtres)
  • présence d’éléments décoratifs à fort pouvoir occultant (lambris, etc.)
  • réalisation de traitements antifongiques, même de manière partielle

A côté des clignotants « biologiques »  (hygrométrie, température) et techniques (état de la construction, ouvrages suspects), l’inspection peut également s’étendre à des aspects plus subjectifs, tel le comportement du vendeur. La durée de l’inspection s’en ressentira, mais c’est là investir dans la sécurité.

Rédiger en exprimant ses doutes

Scénario classique, l’acquéreur, une fois chez lui, s’étonne d’y trouver champignons et/ou dégâts. Il devient alors essentiel de démontrer que le professionnel n’a pas su informer. Procès assuré sur le thème : « j’ignorais (ou n’avais pas mesuré) le danger » .

On assiste alors à un diagnostic « à l’envers »  : une nouvelle inspection du site se déroule, via une expertise judiciaire. Mais, différence fondamentale avec le diagnostic initial, cet examen va s’opérer sur la base d’un fait désormais connu (souvent à l’occasion de travaux) : la présence du mérule et ses conséquences.

A ce moment, l’information contenue dans l’état parasitaire va évidemment être passée au crible, sur le fond, mais aussi sur la forme. Le langage est ici capital, surtout s’il a été repéré une humidité anormale ou, mieux, des traces suspectes.

Conseil pratique : si de tels indices sont relevés, les décrire, en expliquant qu’il existe un doute que seules des recherches destructives pourront définitivement lever. En somme, préférer les conclusions provisoires aux formules (apparemment) définitives.

Ainsi, dans un but préventif, le diagnostic pourrait-il contenir des précisions sur :

  • les informations communiquées par le donneur d’ordre, quant aux antécédents de l’immeuble et travaux réalisés sur les bois d’œuvre (factures, etc.)
  • la découverte d’indices (éléments boisés remplacés, dégradations) ou de facteurs favorables (humidité, doublage)
  • la conduite à tenir face à ces indices (par exemple un diagnostic complémentaire, via des sondages destructifs)
  • l’impossibilité – dans le cadre d’un examen non destructif – de déterminer l’ampleur exacte de l’infestation. Autres conseils pratiques dans certaines situations particulières :
  • apporter un complément écrit à l’état parasitaire, par courrier séparé (notamment lorsque le diagnostiqueur a été questionné sur tel ou tel point après communication de l’état parasitaire) ; dans ce cas, il est essentiel que l’écrit complémentaire se réfère à l’état parasitaire préalable, en stipulant que les deux documents forment désormais un tout.
  • en cas de diagnostic après travaux et/ou traitement, ne jamais se prononcer sur la qualité et l’efficacité de ceux-ci par des mentions telles que « travaux/traitement effectués dans les règles de l’art » , lister tous les indices apparents (dégradations, etc.) pouvant signifier une persistance du phénomène.
Tout est affaire de message

Face au risque « mérule » , l’acquéreur prétendra le plus souvent n’avoir pas compris. Tout est donc affaire de message, puisque la jurisprudence ne voit pas en l’acquéreur un sujet passif, voire naïf, mais au contraire un être capable de comprendre et de réagir, dès lors que l’information reçue est assez claire.

Par des précisions aussi concrètes que possible, il faut montrer au consommateur que le diagnostic mérule – limité au visible et à l’accessible – n’a pas vocation à donner des certitudes mais, au mieux, des doutes quant à une possible infestation et ses conséquences en termes de dégradations.

Paradoxe des temps modernes, en matière de mérule (voire d’autres agents destructeurs), la sécurité n’est plus dans la certitude mais plutôt dans le doute.