Mesurer un lot n’oblige pas à dire qui en est propriétaire

Mesurer un lot de copropriété est une chose, dire qui en est le propriétaire, et dans quelle proportion, en est une autre. Telle pourrait être la synthèse d’une toute récente décision de justice, marquant la quatrième étape d’un véritable feuilleton judiciaire. Retour sur les faits.

Le litige porte sur la vente d’un local commercial situé dans le vieux Bordeaux. Le vendeur, pourtant propriétaire du local depuis 1988, affirmera ultérieurement n’avoir jamais visité celui-ci, pour habiter lui-même une autre région et se cantonner au rôle d’investisseur gérant à distance.

L’agence immobilière, négociatrice de la vente, fait appel à un diagnostiqueur local qui calcule une surface « loi Carrez » d’environ 160 m2. La vente s’effectue bien entendu sur cette base, sans que personne, ni vendeur ni notaire, n’y trouve à redire. Après la vente, nouveau mesurage (cette fois-ci par un géomètre expert ayant accès au règlement de copropriété), qui ramène la surface à 100 m².

Énorme écart (bientôt confirmé par un expert judiciaire), qui vaudra au diagnostiqueur une condamnation sévère par le tribunal, puis la cour d’appel de Bordeaux (arrêt du 29 mai 2012).

Le diagnostiqueur se voit condamné à indemniser le vendeur à hauteur de 16 000 euros, indemnité correspondant à une « perte de chance » ; en clair, les juges ont estimé que, vu le secteur très recherché dans lequel se situait le local vendu, la surface manquante (60 m²) n’aurait entraîné aucune diminution du prix, en tout cas pas dans la proportion résultant de la loi Carrez, si une surface exacte avait été annoncée dans l’acte de vente.

C’est au vendeur de définir le lot faisant l’objet du mesurage

Selon les juges bordelais, la faute du diagnostiqueur consistait à avoir calculé la surface du lot « sans s’inquiéter de savoir de quelle manière le règlement de copropriété délimitait ce lot ». Les juges reprochèrent également au diagnostiqueur de n’avoir pas, préalablement au mesurage, interrogé le propriétaire, voire le syndicat des copropriétaires, afin de « s’assurer de la définition du lot concerné » (comme s’il appartenait au diagnostiqueur de définir ce dont le vendeur est le propriétaire).

Selon cette conception radicale, quelque peu éloignée de la réalité du terrain et plutôt inquiétante pour le métier, peu importe que le diagnostiqueur ait précisé dans son rapport que le règlement de copropriété ne lui a pas été communiqué, préalablement au mesurage.

Le lot mesuré avait une surface apparente de 160 m2, mais en réalité, cette surface empiétait largement sur l’immeuble voisin, ce que le diagnostiqueur ne pouvait pas deviner, le mur de séparation entre les deux copropriétés ayant disparu depuis longtemps.

Cette condamnation du diagnostiqueur sera cassée par une décision déjà commentée dans ces colonnes (Cass. civ. 3e, 18 septembre 2013). Pour comprendre la cassation, il faut apporter une précision essentielle : le lot mesuré avait une surface apparente de 160 m2 ; mais, en réalité, cette surface empiétait largement sur l’immeuble voisin, ce que le diagnostiqueur ne pouvait évidemment deviner, le mur de séparation entre les deux copropriétés ayant disparu depuis longtemps.

Estimant que le mesurage n’implique aucune analyse juridique, la Cour de cassation avait rejeté l’approche des juges bordelais et désigné une autre cour d’appel afin de statuer sur la responsabilité du diagnostiqueur. C’est ce que vient de faire la cour d’appel de Toulouse, qui met (enfin !) le diagnostiqueur hors de cause, au motif que celui-ci, dans le cadre du « mesurage de la superficie désignée par le vendeur » n’a pas « à rechercher l’étendue du droit de propriété » du vendeur ayant fait appel au diagnostiqueur.

Deux idées essentielles ressortent de cette approche plutôt encourageante. D’une part, c’est au vendeur (voire à son notaire) de définir le lot qui doit faire l’objet du mesurage, et non pas au diagnostiqueur, sauf à inverser les rôles. D’autre part, le mesurage n’implique aucune recherche juridique, celle pouvant consister, par exemple, à délimiter juridiquement le lot dont le vendeur est propriétaire (délimitation impliquant l’analyse du règlement de copropriété et de tous les actes antérieurs, voire, comme ici, du cadastre).

Il est donc à espérer que cette décision de justice permettra de rééquilibrer les responsabilités entre diagnostiqueur et notaire.

Dans le cadre de sa défense, le diagnostiqueur ayant réalisé le mesurage (et/ou son assureur) ne devra donc pas négliger un appel en garantie à l’égard du notaire, lorsque les circonstances du litige font apparaître que celui-ci résulte d’une mauvaise analyse juridique du lot mesuré, et non pas d’une erreur de mesurage stricto sensu. En effet, comme vient de le signifier avec clarté la cour d’appel de Toulouse, surface ne veut pas dire étendue.

Cour d’appel de Toulouse – Première chambre – Section 1 – 27 avril 2015