Désamiantage en l’absence de risque sanitaire ?

Désamiantage
Avocat Damien Jost désamiantage

Désamiantage

Selon un arrêt récent rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 21 mai 2014, la présence d’amiante dans les murs de l’immeuble caractériserait un préjudice certain correspondant au coût des travaux de désamiantage.

Cette décision paraît s’opposer frontalement à une jurisprudence constante subordonnant le désamiantage de l’immeuble à l’existence d’un risque avéré, non à l’aune de la subjectivité individuelle, mais seulement au regard des normes sanitaires en vigueur, notamment le taux de fibres d’amiante présentes dans l’atmosphère des locaux (cf. C. santé publ., art R. 1334-28 N° Lexbase : L4148IQP). En d’autres termes, la seule présence d’amiante ne suffit pas à motiver son retrait immédiat. Encore faut-il que sa dangerosité soit établie pour que le désamiantage soit nécessaire, et, partant, indemnisable. Exit donc le désamiantage de pure « convenance », fortement teinté de subjectivité. Aussi, la Cour régulatrice avait-elle précédemment refusé de voir un préjudice certain dans des « travaux de désamiantage non obligatoires au regard de la réglementation en vigueur » (Cass. civ. 2, 25 février 2010, n˚ 08-12.991, F-D N° Lexbase : A4442ESC). En effet, les fibres d’amiante présentes dans l’immeuble sont généralement incorporées dans un matériau neutre, par exemple le ciment, bloquant toute émission spontanée de fibres (tout aussi longtemps que le matériau d’enveloppe conservera son intégrité). Telle est la raison pour laquelle les travaux (bricolage ou autre), susceptibles d’affecter l’intégrité des matériaux amiantés, doivent s’accompagner de mesures particulières destinées à éviter toute inhalation fortuite de fibres d’amiante. Ces mesures (ou « recommandations générales de sécurité ») sont décrites par un arrêté du 21 décembre 2012 (NOR : AFSP1 243 362A N° Lexbase : L8093IUB) (exemple : en cas de perçage d’un mur amianté, humidifier préalablement la partie du mur à percer et porter un masque filtrant).

Toutefois, la Cour régulatrice vient d’énoncer que l’obligation de recourir à de telles mesures caractérise en elle même un préjudice certain. S’il est évidemment encore impossible d’appréhender la portée de cette décision, il est toutefois permis de constater qu’elle concerne une situation particulière (I). Il n’en demeure pas moins que la solution retenue soulève, d’ores et déjà, quelques interrogations (II).

  • Décision d’espèce

A première vue, le désamiantage qui vient d’être indemnisé, au terme d’une procédure qui aura duré pas moins de neuf années, s’analyse -avant tout— comme la sanction d’un manquement de la part du diagnostiqueur.

Ce professionnel, chargé d’effectuer un diagnostic dans le cadre de la vente d’une maison (constat visuel et non destructif), avait certes décelé la présence d’amiante, mais uniquement dans la toiture du garage situé à proximité du logement. Après l’acte authentique, le nouveau propriétaire des lieux avait décelé la présence d’une plaque suspecte au plafond de la pièce principale de la maison. L’expertise judiciaire ayant précédé la décision avait critiqué le diagnostiqueur, notamment du fait de l’absence d’examen des combles (accessibles depuis une trappe) et de l’absence de sondage (étant rappelé que tout sondage destructif ou invasif est strictement interdit dans le
cadre du diagnostic « avant vente »).

Cette expertise avait toutefois souligné l’absence de risque sanitaire, les matériaux amiantés se trouvant en bon état de conservation et, de plus, non immédiatement accessibles, comme situés sous divers revêtements. En outre, l’expert judiciaire avait estimé que l’acquéreur avait eu le temps de s’apercevoir de la présence d’amiante, avant l’acte authentique, car, peu après le compromis, il avait été autorisé par le vendeur à effectuer quelques travaux affectant les murs amiantés.

  • Interrogations persistantes

A suivre la motivation de la décision, la nécessité de respecter certaines précautions en cas de travaux dans une maison amiantée caractériserait en elle-même un préjudice certain.

Cette approche semble assimiler le mal à son remède, puisque les « mesures particulières » visées par la Cour régulatrice sont celles destinées, précisément, à éloigner le danger, dès lors, naturellement, qu’elles ont été portées à la connaissance du propriétaire de l’immeuble amianté (via, par exemple, le rapport de diagnostic établi préalablement à la vente). Est-ce à dire que l’immeuble doit être réputé impropre à son usage par le seul fait que certains composants amiantés (plaques fibrociment, etc.) sont incorporés dans sa structure ? Autrement dit, devrait-on analyser la présence d’amiante in abstracto, indépendamment du risque sanitaire réel ?

La réponse semble devoir être négative au vu de la jurisprudence de ces dernières années, notamment celle de la Cour régulatrice.

Pour mémoire, la notion d’impropriété à l’usage, non définie par le droit positif, relève dès lors d’un examen in concreto. Dans une affaire similaire au cas d’espèce, il a été jugé que la seule présence d’une plaque d’amiante dans une chambre ne rend pas ipso facto l’immeuble impropre à sa destination (Cass. civ. 3, 13 avril 2010, n˚ 09-65.646, F-D N° Lexbase : A0696EWP). Dans cette autre affaire, un expert judiciaire avait confirmé l’absence de danger, sauf en cas de percement de la plaque d’amiante. Dès lors, les juges du fond, approuvés par la Cour régulatrice, avaient écarté tout préjudice certain, faute d’obligation de procéder au désamiantage, de simples précautions suffisant à éloigner tout danger pour les occupants de l’immeuble.

Au cas particulier, c’est donc la solution inverse qui a été adoptée, en dépit de l’absence de risque sanitaire, comme l’avait retenu l’expertise judiciaire, mais aussi le premier arrêt rendu par la cour d’appel (CA Poitiers, 1ère ch., 23 avril 2010, n˚ 08/03 886 N° Lexbase : A4026EXE) : « considérant qu’il n’est pas établi que ces plaques aient engendré un risque sanitaire effectif, dès lors qu’il n’a été constaté aucun empoussièrement de la maison par des fibres d’amiante ni aucune dégradation de ce matériau, en parfait état de conservation ; qu’il en résulte que les défauts cachés de la chose vendue ne la rendent pas impropre à son usage ou à sa destination ».

La Cour régulatrice entérine l’indemnisation du désamiantage bien que celui-ci ne soit pas obligatoire au regard de la réglementation en vigueur, pour reprendre la formule forgée précédemment (cf. supra, Cass. civ. 2, 25 février 2010).

Deux détails apparaissent frappants :

— la Cour régulatrice se garde d’invoquer l’impropriété à l’usage, se limitant à la notion de préjudice certain ;
— ce n’est pas la présence d’amiante qui caractériserait un préjudice certain mais exclusivement la « contrainte » liée à cette présence.

Techniquement, il reste difficile de comprendre ce qui a motivé la décision, qui semble faire abstraction du fait que le désamiantage n’était pas obligatoire.

En énonçant que les mesures particulières destinées à prévenir le risque sanitaire constituent des contraintes, et, partant, qu’elles caractérisent un préjudice certain, la Cour régulatrice semble adopter, en la circonstance, une position radicale, relevant, peut-être, d’un vague « principe de précaution ». En effet, plutôt que de rappeler au propriétaire que le respect des précautions réglementaires suffira à prévenir tout risque sanitaire, la Cour régulatrice semble valider un désamiantage « préventif » dépourvu de fondement réglementaire.

Ce faisant, la Cour de cassation a repris l’analyse du premier juge, qui, contournant l’absence de risque sanitaire, avait retenu en substance que l’usage normal de la chose implique la possibilité d’effectuer des travaux de toute nature, sans la moindre contrainte (TGI Sables d’Olonne, 24 octobre 2008). Aussi le premier juge avait-il considéré que les contraintes liées à la présence de composants amiantés « limitent l’usage normal de l’immeuble dans des proportions telles que [l’acquéreur] n’aurait donné qu’un moindre prix s’il les avait connues ».

Curieusement, cette analyse ne repose, apparemment, sur aucun élément de preuve de ce que la valeur du bien s’est effectivement trouvée amoindrie du fait de la découverte de composants amiantés. Et pour cause ; il n’est pas rare que les immeubles antérieurs à 1997 comportent une dose d’amiante, notamment, comme en l’espèce, sous forme de plaques fibrociment dissimulées sous divers revêtements.

Les professionnels de la négociation immobilière estiment généralement que cette présence d’amiante n’entraîne en elle-même aucune moins-value, dès lors que les plaques incriminées sont en bon état de conservation et ne sont pas accessibles au quotidien, comme c’était le cas en l’occurrence.

Détail frappant, le préjudice, tel qu’analysé par le premier juge, ne relève pas du risque sanitaire, mais, bien davantage, de la perte (supposée) de valeur de l’immeuble. C’est là une confirmation implicite de l’absence de risque sanitaire.

Ce qui a été indemnisé n’est probablement que la perte de chance consécutive au défaut d’information de l’acquéreur, ce défaut d’information étant lié, selon les juges du fond, à une erreur de diagnostic.
Il est sans doute regrettable que le dernier arrêt de la Cour régulatrice ne l’ait pas dit de façon explicite, accréditant ainsi l’idée que tout matériau amianté doit être retiré, ce qui ne correspond nullement à l’état du droit positif.